Chroniques et nouvelles de Pierre Martial, écrivain-journaliste

Bangladesh: le pays où éditeurs, écrivains et lecteurs défendent les livres jusqu'à la mort!



Soudain, un début de panique! Dans les travées de la grande Foire du livre d'Elkushey, au Bangladesh, lectrices et lecteurs refluent précipitamment vers les issues de secours. D'autres restent comme figés sur place, tétanisés et prêts au pire. Un jeune éditeur, juché sur une table, tente de voir, au loin, ce qui se passe.

C'est alors qu'au milieu des cris et des bousculades on voit apparaitre le grand Manik, 73 ans, éditeur bien connu du pays. Il est menotté et une solide escouade de policiers l'entourent et le tirent, faisant dégager le passage à grands coups de bâtons.

Manik Shamsuzzoha essaye de sourire. Il fait des signes d'apaisement en direction de la foule.
“Ne vous inquiétez pas, lâche-t-il aux badauds. Tout va bien, tout va bien!“
Et comme l'un de ses amis éditeurs lui crie: “Tu es sûr?“, il a cette réponse incroyable, cette réponse inimaginable et pourtant si significative depuis un an pour un éditeur ou un écrivain du Bangladesh:
-“Oui, oui, tout va bien, mes amis! Je suis...“
Un petit silence et d'ajouter, avec un sourire gêné: “Je suis... vivant!!!“

En un an, 5 écrivains et éditeurs massacrés à la machette par les djihadistes

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Si Manik vient d'être arrêté pour l'édition d'un livre qui défend le droit à la laïcité au Bangladesh où l'islam est religion d'état, c'est qu'il a été anonymement dénoncé et menacé par les groupes djihadistes qui sèment aujourd'hui la terreur dans le pays.

Pour ces intégristes, appartenant pour la plupart à Al Quaida, l'athéisme est un crime absolu qui mérite la peine de mort immédiate et sans jugement. Et tout livre remettant en cause l'islam ou même interrogeant ce thème, doit être saisi, brulé et ses auteurs, éditeurs et lecteurs, assassinés.

En un an, 5 écrivains, blogueurs et éditeurs ont été massacrés par ces barbares, la plupart assassinés en pleine rue, devant leur femme et enfants, dans leurs bureaux ou à la sortie de librairies ou de salons du livre.

Ce fut le cas de Avijit Roy en février 2015, de Washiqur Rahman en mars, d'Ananta Bijoy Das en mai, de Niloy Neel en aout et de Jagriti Prakashani en octobre.

Des dizaines de milliers de femmes et d'hommes dans la rue pour défendre les livres!

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Après chaque attentat, après chaque meurtre ou tentative de meurtre, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui descendent dans les rues pour crier à la fois leur colère et leur volonté de résistance absolue contre les empêcheurs de lire et de penser librement!

Ils sont des foules immenses, femmes en tête, à défier les barbares et à s'opposer, mains nues mais volonté absolue, à ceux qui voudraient, au nom de leurs croyances, mettre les autres - tous les autres! - à genoux, brûler leurs livres, les empêcher de réfléchir et de débattre et, en un mot, les asservir!

Ah, qu'elles sont belles et émouvantes, ces manifestations spontanées de femmes et d'hommes, prêts à défendre au péril de leur vie, les livres, ces symboles absolus du droit à la réflexion, à la pensée, à l'éducation, à la tolérance et à la compréhension mutuelle!

Culture contre barbarie: la résistance s'organise

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Du côté des écrivains, des blogueurs et des éditeurs, la résistance s'organise.

On multiplie les précautions, on sécurise les déplacements, les auteurs les plus menacés passent dans la clandestinité pour pouvoir continuer à écrire.

Mais personne, à aucun moment, ne songe à arrêter, à céder, à baisser les bras ou à accepter l'inacceptable!

Peu soutenus qu'ils sont par un gouvernement qui ose dire que ces assassinats sont “des incidents isolés comme il en arrive partout dans le monde!”, éditeurs et écrivains comptent avant tout sur eux, sur les réseaux, les lecteurs, les bibliothécaires, les libraires, bref sur tout ce que le pays peut compter de défenseurs des livres!


Dans sa cellule de Dacca, le grand Manik a exigé du papier et des crayons

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A l'heure où je finis d'écrire ces lignes, le grand Manik, après son arrestation en pleine Foire du livre, est toujours détenu dans une cellule de Dacca.

Cela fait plusieurs jours maintenant que l'éditeur est enfermé mais ça va, il ne se plaint pas. Car, suite à ses nombreuses et inlassables demandes, on lui a enfin donné du papier et des crayons.

- C'est pour préparer votre défense? lui a demandé le geôlier qui les lui a remis.
Manik a souri.
- Non, a-t-il répondu doucement... C'est pour préparer l'édition de mon prochain livre!

Manik, je te serre avec émotion, chaleur et mon total respect.
Mes amitiés les plus fraternelles également à toutes nos amies et amis du Bangladesh qui défendent si courageusement les livres et notre droit inaliénable à la lecture, à l'éducation et à la démocratie, quelles que soient nos croyances, la couleur de notre peau ou notre pays.

Bien à toutes et à tous.

Pierre MARTIAL

A partager le plus largement possible, mes amies et amis.
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Pierre MARTIAL
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