Pierre MARTIAL, écrivain et journaliste
Chroniques et nouvelles de Pierre Martial, écrivain-journaliste

[NOUVELLE]

Ici ou ailleurs. La petite fille dans la poussette et la poupée à remonter le temps. Une nouvelle de Pierre Martial.



© D.R
© D.R
J'aimerai bien faire du manège! Sur l'un de ces chevaux de bois multicolores... Ou dans le petit camion de pompier qui fait pin-pon pin-pon... Mais Mama veut pas! Je sais pas pourquoi...

L'odeur douçâtre de la barbe-à-papa rose...

J’aime bien les fêtes de fin d'année, Noël, le Jour de l'An... enfin toute cette période-là!

La ville y est si différente. Gaie. Lumineuse. Joyeuse. Comme sucrée…

Des guirlandes lumineuses sont suspendues ici et là dans les airs… De grands sapins enrubannés trônent sur les places publiques… Une foule incessante va et vient sur les trottoirs et dans les rues… De grands sacs en papier de toutes les couleurs circulent partout de mains en mains, pleins de cadeaux ou de bonnes choses à manger… Une musique lancinante s’échappe des hauts-parleurs accrochés aux réverbères…

La marchande d’huîtres en tablier bleu au coin de la rue, interpelle tout le monde de sa grosse voix…

Une odeur douceâtre de barbe à papa rose que le patron du manège fait tourner dans son chaudron de cuivre en face de la mairie titille nos narines…

Le manège…

J’aimerais bien faire du manège. Grimper sur l’un de ces chevaux de bois multicolores qui tournent sans fin les uns derrière les autres. Ou alors m’installer dans le petit camion de pompier rouge vif qui fait pin-pon pin-pon. Ou encore m’asseoir au volant de cette voiture rigolote dont les phares ressemblent à deux grands yeux étonnés et où l’on peut donner de vrais coups de klaxon en appuyant sur une poire en caoutchouc noir…

J’aimerais bien faire du manège…

Mais Mama ne veut pas.

Elle est d’accord pour m’amener là où je veux à condition que je ne quitte pas ma poussette.

Je ne sais pas pourquoi. Je ne sais plus pourquoi. Ou alors je ne veux pas m’en souvenir…

Ça ne fait rien ! Ce n’est pas grave ! Je suis bien comme ça ! Je profite de tout avec mes yeux ! C’est le plus important, non ?

Des fées au teint diaphane et aux robes scintillantes...

Parfois, Mama et moi, on prend le bus et on va voir les grandes vitrines de Noël qui sont là-bas, loin, en plein centre de la ville.

Qu’est-ce que c’est beau ! On dirait de la magie ! C’est magnifique !

On y voit des fées au teint diaphane et aux robes scintillantes s’y mouvoir avec délicatesse. Certaines font tournoyer comme au ralenti au dessus d’elles, des baguettes magiques tandis que d’autres portent au bras des paniers d’osier emplis de jouets. Toutes nous font la révérence à chaque fois qu’elles arrivent au centre de la vitrine et puis elles repartent en arrière et continuent leur danse sacrée.

Derrière elles, des singes en peluche, rieurs et moqueurs, font une sarabande endiablée en jetant autour d’eux des confettis blancs et bleus.

A gauche, un clown avec des lunettes noires et un gros nez rouge joue du violon, adossé à un arbre en cristal.

Au fond, deux lutins coiffés de bonnets pointus, font du vélo à califourchon sur un tandem tandis qu’un petit train orange tourne en rond en crachotant des ronds de fausse fumée violette…

Je souris ! Je ris ! Je bats des mains !

— C’est beau, hein ? C’est beau ! crie-je à Mama en me retournant vers elle pour voir si elle partage ma joie.

Elle me sourit avec tendresse.
— Oui, oui… murmure-t-elle.

Elle me sourit mais elle semble mal à l’aise. Comme gênée. Elle jette des regards furtifs et embarrassés en direction des autres enfants et de leurs parents. Et puis elle regarde ailleurs…

La tête pleine d'étoiles filantes...

Moi, je continue d’en profiter au maximum ! Je m’en mets plein les yeux et la tête ! J’ai les pupilles brillantes d’images féeriques.

Au bout d’un long moment, Mama se penche vers moi et me glisse doucement à l’oreille :
— Il va bientôt falloir y aller. Il commence à se faire tard…
— Non, non, m’écriai-je en remuant la tête de gauche à droite. Non ! Pas déjà! Pas tout de suite ! Encore un peu ! Encore un peu!
Je la supplie :
— S’il te plait… s’il te plait…
Elle hoche la tête.
— D’accord, répond-elle conciliante. Mais pas trop longtemps alors !
— Merci, merci, lui réponds-je en recommençant à battre des mains tout en rejoignant du regard mes amies et amis les fées, les lutins, les singes farceurs et le clown aux lunettes noires.

Le soir tombe peu à peu et il faut rentrer maintenant.

Alors, on prend le chemin du retour, Mama derrière, les mains accrochées aux poignées du fauteuil roulant et moi devant, sanglée sur mon siège, la tête pleine d’étoiles filantes.
— Merci beaucoup, Mama ! lui dis-je en me retournant à demi.
Je laisse s’égrener quelques secondes et je poursuis :
— On y retournera bientôt, hein ?
Elle soupire et sourit en même temps :
— Oui, répond-elle, oui. Autant qu’il nous sera possible…

J’aime bien Mama. Sa douceur, sa gentillesse, sa compréhension.

Je l’appelle Mama mais en réalité elle s’appelle Marie. C’est elle qui s’occupe de moi depuis que… enfin… c’est mon aide à domicile, comme on dit…

Elle se penche encore vers moi et me glisse au creux de l’oreille :
— Je continuerai à vous y amener aussi souvent que vous le voudrez, mais… (elle hésite), mais est-ce bien notre place, Madame Huguette ? Vous n’avez pas oublié que nous allons bientôt fêter vos 89 ans ?

Retourner déambuler gaiement sur les chemins de mon passé...

Je fais semblant de ne pas entendre. De ne pas comprendre.
Bien sûr que je le sais ! Si je n’ai plus mes jambes d’antan, ni la possibilité de me mouvoir comme avant, j’ai encore toute ma tête, Dieu merci!

Ils pensent tous que j’ai perdu la boule, que je ne sais plus trop bien qui je suis, que je suis retournée en enfance comme ils murmurent entre eux d’une mine attristée.

Je les laisse dire… Je les laisse croire… Cela me plait tant d’imaginer que je suis encore une enfant de quatre ou cinq ans. Ou bien une adolescente romantique. Ou encore une toute jeune femme amoureuse de la vie et pleine d’énergie…

Tout le temps — ou le peu de temps…— qu’il reste sur mon "permis de séjour" ici-bas, j’ai décidé de le dépenser sans compter à retourner me balader sur les chemins de mon passé. De m’y promener d’un œil curieux et amusé. De retrouver celle que j’ai été et de sourire et rire de concert avec elle.

Et tout cela sans nostalgie aucune ! Sans l’ombre d’un regret ni d’un remord ! Non ! Je ne veux que du positif, du sensible, de l’agréable, du Beau, du sensuel, du jubilatoire… Et de l’amour, aussi ! Beaucoup d’amour ! J’en ai tant reçu ! Et j’en ai tant donné…

Au diable les mauvais souvenirs ! Aux poubelles de ma vie! Oubliés à tout jamais!

C’est ainsi que j’ai décidé de profiter de mon crépuscule. En beauté!

La poupée à remonter le temps...

C’est fou ce qu’un cerveau humain — à peu près en état de fonctionner malgré quelques lenteurs inhérentes à l’âge! — peut conserver, empiler, enfouir, protéger, entretenir des milliers, des dizaines de milliers de souvenirs, d’images, de sensations, de sons, d’odeurs du Passé.
Des touts petits et des très gros. Des sans importance et des essentiels. Des en vrac et des sur-mesure…

Et lorsqu’on lui demande — gentiment — de nous les restituer, il nous les offre peu à peu, les uns après les autres, chaque jour, chaque nuit, toujours un peu plus, avec gentillesse et complicité…

Je dodeline doucement de la tête dans ma petite poussette…

Les guirlandes lumineuses se balancent au dessus de moi, tout là-haut… Au loin, la lune me sourit. Je me laisse aller… Je m’endors à moitié…

C’est une voix qui me réveille… Une voix lointaine et pourtant si familière…
La voix de Maman, revenue du fonds des Temps.
— Qu’as-tu commandé au Père Noël cette année, ma chérie, me demande-t-elle, câline. Je peux savoir ?
Je souris de toutes mes petites dents de la sentir si près de moi, toujours si près…
Je réfléchis une seconde et je lui réponds:
– J’ai demandé au Père Noël une poupée à remonter le temps, Maman ! Oui! Une poupée à remonter le temps!
Et je me mets à battre des mains à tout rompre et à sourire à l’Eternité…


Pierre MARTIAL

Je dédie cette nouvelle à toutes celles et tous ceux - nombreux et souvent “invisibles” aux yeux du monde - qui passent les fêtes solitairement, à cause de leur grand âge, de leurs handicaps, de leur état de santé, de l'état de leurs finances ou quelles qu'en soient les raisons... Je les embrasse de tout mon coeur et appelle à les aimer et les aider, chacune et chacun à notre façon et selon nos propres possibilités...

A partager le plus largement possible, mes amies et amis.
Partager, c'est déjà agir.

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Pierre MARTIAL


1.Posté par Alain Rigault le 25/12/2019 05:12
Comme je vous l'ai dit, voici le poème que m'a inspiré le message ci-dessus.
Pierre et les livres

À quoi bon de bon matin s’abreuver de mots
Quand l’aurore empourprée de douceur, dégage,
Quand la pluie coule comme une caresse sur la peau,
L’esprit reçoit tant d’avantage d’une page,
Qu’il s’égare dans cette mer naufragée de migrants,
De ce doigt à tourner les feuilles,
De ses yeux qui dévorent les seuils
Tel un Gargantua assis sur son céans
Mange comme un ogre les mots du livre,
Bois dans cette fontaine les écrits anciens,
Parcours du petit poucet de page sur le chemin
Qu’il s’abreuve d’un voyage et s’enivre
D’un parfum qui plonge l’esprit
Dans le plus profond secret du récit.
Cette boite où l’on range les mots
Où l’on entasse les syllabaires en dentelles,
Sur des étagères pyramides comme des perles
Dans ce long fil d’outremot,
Berce le lecteur à ses yeux ventrus
L’espoir que les mots du livre
Cache un trésor encore plus pointu.
Pierre donne le ton dans les boites à livres,
Je dirais plutôt de boite à mot ivre
Telle une mer déchaînée qui bouscule les mots
Dans des phrases qui se transforme en vivre
Intellectuel dans le casier du cerveau.
Si le pain et le vin sont le repas du ventre,
Les livres sont le repas de l’esprit…
Pierre les étales sans attendre
Comme du bon pain sur les pages - les mots surpris.




Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L-335-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle.

Pierre ceci n'est pas pour vous, mais aux lecteurs

2.Posté par Pierre MARTIAL le 25/12/2019 22:57
Merci beaucoup pour ce beau poème, Alain. Mes amitiés.

3.Posté par épingle à nourrice éditions / .ene le 27/12/2019 15:00
Bonjour !
Très beau texte ! Pouvons-nous faire participer vos nouvelles sur la petite fille, et la poupée, à notre 12e concours d'écriture ? À la clé, l'édition d'un recueil pour tous les lauréats...
Avec espoir, recevez nos fraternelles salutations,
Thierry / .ene - assoc. Gens du monde

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