Pierre MARTIAL, écrivain et journaliste
Chroniques et nouvelles de Pierre Martial, écrivain-journaliste

"Les librairies sont des îlots de vie dans un monde inhumain..."



Extrait du roman "Le Cinquantième Livre" de Pierre Martial. Editions Livres Partout/Victor H. - 2020

"De mes toutes premières années, je n’ai pas de souvenirs. De souvenirs conscients, je veux dire. Je n’émerge de mon cerveau qu’à l’âge de quatre ou cinq ans.

Je suis emmitouflé dans une grosse doudoune blanche à fermeture éclair remontée jusqu’à mi-visage. Coiffé d’un bonnet de laine bleue, je suis assis sur une petite chaise en bois blanc, posée à l’abri d’une imposante boîte métallique verte, qui me surplombe, solidement accrochée à un muret des quais de Seine, à Paris.

C’est l’hiver mais le soleil brille et je me sens... si heureux de vivre !

Ma mère, chaudement vêtue elle aussi, va et vient autour de plusieurs de ces grandes boîtes métalliques emplies de livres à ras bord sans pour autant me perdre des yeux plus de dix secondes.

Parfois, souvent même, des passants s’arrêtent, me sourient, me marmonnent quelques mots que je ne comprends pas mais que j’accueille avec joie en battant des mains et en babillant aimablement.

Ensuite, ils s’approchent des boîtes, parlent avec ma mère, farfouillent parmi les piles de livres et en achètent un ou deux avec lesquels ils repartent, sourire aux lèvres.

Romanesque

C’est à cet âge-là et en regardant chaque jour cette scène, que j’ai compris que les livres rendaient heureux, qu’ils éclairaient les êtres humains, qu’ils les aidaient à mieux se rapprocher, se parler, se comprendre, s’aimer...

Toute mon enfance, les livres m’ont entouré, protégé, accompagné, rassuré et nourri aussi, au sens propre comme au sens figuré. Ils m’ont fait grandir, m’ont appris tout ce que je sais, m’ont consolé dans les difficiles moments de l’existence et m’ont apporté tellement de bonheur !

Ma mère n’avait pas beaucoup d’argent mais, grâce aux livres, nous n’avons jamais été pauvres ni pécuniairement, ni existentiellement ! Certes, la vie d’une bouquiniste des quais de Paris n’est pas de tout repos, on y a froid, on y a chaud et on n’y fait jamais fortune, mais elle est si romanesque qu’on peut vivre à côté et hors des laideurs du monde.

Oui, je le dis aujourd’hui aussi fort que je le pense, mon enfance a été un havre de bonheur.
 

Don mystérieux

Ma mère aurait aimé que, plus tard, je devienne écrivain, que je passe, en quelque sorte, de l’autre côté des livres, que j’en sois à l’origine, à la source, à la plume.(...)

Mais je n’ai jamais eu ce don un peu mystérieux et quasi divin d’imaginer, de créer, d’accoucher de personnages si proches de soi et si loin à la fois, de les regarder vivre, de les écouter, de les suivre, de les habiter et en même temps d’être habité par eux...

On ne s’invente pas écrivain. C’est ce que je pense. On l’est ou on ne l’est pas. Originellement.

Et puis, j’aime tellement les livres que je n’aurai pu me résoudre à n’en privilégier que quelques uns, c’est à dire les miens ! C’est tous les livres que je voulais aimer et défendre, protéger et faire connaître, cajoler et partager...

Alors je suis devenu libraire !

A la grande joie de ma mère d’ailleurs que je revois encore si émue et si lumineuse à l’inauguration de mon échoppe.

J’en rêvais depuis si longtemps !

"Les librairies sont des îlots de vie dans un monde inhumain" écrit Christian Bobin.

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Nuit blanche

C’est le lendemain de mes trente ans, au sortir d’une joyeuse nuit à Montmartre avec mes compagnons de l’époque que tout a commencé.

Il était six heures du matin et, embrumé par la nuit blanche que je venais de passer, je redescendais vers Paris par les petites rues de la Butte.

Après m’être engagé dans la rue des Saules et dépassé le cabaret du Lapin Agile, je tournais à droite et dévalais le tortueux escalier qui mène à la rue Gaston Couté.

Et c’est là, au numéro 4 de cette impasse si attachante que je vis ma librairie, ou plus exactement ma future librairie !

En réalité, juste un panonceau apposé sur la façade décrépie d’un vieil entrepôt à l’abandon et sur lequel ces quelques mots avaient été griffonnés sans conviction: « Local à louer, sans reprise ni pas de porte ».
Suivait un numéro de téléphone.

J’eus peine à le déchiffrer tant le soleil et la pluie s’étaient unis, de longs mois durant, peut-être même des années, pour le rendre quasi illisible.

Lieu envoûtant

J’appelais l’après-midi même et le propriétaire, presque étonné que quelqu’un s’intéresse à son improbable local, me donna rendez-vous chez lui le lendemain matin.

C’était un Montmartrois d’un certain âge, élégant et aisé, antiquaire de son état. Cet entrepôt lui avait servi de réserve pendant de longues années mais il n’en avait plus l’utilité, ayant acquis de vastes locaux aux Puces de Saint Ouen.

Par modestie, je n’affirmerais pas qu’il tomba sous mon charme, mais le fait est que je lui plus. De surcroit, sincère aficionado des livres, et sachant "encourager la jeunesse », selon ses propres termes, il accepta de me louer les lieux à un prix indécemment bas.
Nous topâmes là et devînmes, par la suite, les meilleurs amis du monde.

Je passais de longues soirées à nettoyer, débarbouiller, aménager et bichonner mon local pour le transformer en un lieu chaleureux, envoûtant, quelque peu labyrinthique et mystérieux, attachant et émouvant.

Ma mère passait tous les soirs m’aider après avoir fermé ses boîtes du quai de Conti.

Ah, que nous avons été heureux, là encore, tous les deux, à clouer, peindre, plancher, transbahuter et nous émerveiller de ces futurs milliers de livres que nous allions pouvoir y abriter !

"Livré" à moi-même...

Des 1 500 à 2 000 volumes « boîtes-à-sardinés » dans les bacs des quais de Seine, j’allai passer peu à peu, d’année en année, à 20 000 ouvrages, voluptueusement installés sur des étagères de bois verni.

Si ma mère rayonnait et continuait à me soutenir de toute son âme, elle ne voulut pas, pour autant, malgré mon insistance, abandonner ses « boîtes » pour s’installer à mes côtés. Sans doute estima-t-elle, avec intelligence et élégance, qu’il était temps que je sois, à plus de trente ans, « livré » à moi-même.

Si nous continuions à nous voir plusieurs fois par semaine et à nous téléphoner chaque jour, je dormis moins souvent chez nous, dans notre petit appartement du Marais et plus souvent « chez moi » dans la minuscule mais « so romantic» soupente de ma librairie, dont mes amis raffolaient.

Ainsi se sont écoulées mes plus belles années, sans que je les vois passer...

Dernier chapitre

Ma mère s’est éteinte un matin d’été, le plus sereinement du monde, comme elle l’aurait souhaité, si elle avait eu le pouvoir d’en décider.

A 77 ans, elle continuait, chaque jour, d’aller ouvrir ses boîtes, à deux pas de l’Académie Française. Elle n’avait jamais pu se résoudre à les abandonner.

Ce matin-là, alors que le soleil faisait trempette dans les eaux de la Seine, elle a déverrouillé ses étals et puis elle s’est installée sur sa chaise, à l’ombre d’un platane, un livre à la main et le sourire aux lèvres.

Elle s’est éteinte ainsi. Comblée et sereine.

Molière était mort sur les planches ? Ma mère a clos le dernier chapitre de sa vie à l’ombre de ses boîtes à livres ! Après m’avoir transmis le bâton de relai et s’être assurée que je perpétuerai dignement notre mission.

C’est ce que je m’obstine à faire.

Ma petite chaise en bois blanc

Dans quelques semaines, je fêterai mes 80 ans de vie et mes 50 ans de libraire.

Tout passe si vite finalement, mais je ne regrette rien et j’espère pouvoir encore vivre aussi longtemps que possible parmi mes livres !

Les soirs d’été, je sors une chaise sur le trottoir de l’impasse Gaston Couté, devant ma boutique et je me laisse caresser par le soleil et saluer affectueusement par les gens du quartier qui me connaissent tous et qui m’aiment autant que je les aime.

Quand je ferme les yeux, je crois que j’ai encore quatre ou cinq ans et que je suis toujours assis sur ma petite chaise en bois blanc, à l’ombre des boîtes à livres de ma mère sur les quais de la Seine.

Alors je souris béatement. Et je me sens heureux comme un vieux bébé. Un vieux bébé de presque 80 ans qui aime toujours autant les livres et la vie.

Un vieux bébé qui est à mille lieux d’imaginer ce que le Destin est en train d’ourdir contre lui..."

Pierre Martial
Ecrivain, journaliste

Extrait du roman "Le Cinquantième Livre" de Pierre Martial. Editions Livres Partout/Victor H. - 2020

 

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Pour info: l'ensemble des droits d'auteur et des bénéfices de ce livre sera reversé à la défense des livres et de la lecture en faveur des enfants et personnes défavorisées


Pierre MARTIAL

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